Le pavé magique de l’Île-de-Nantes
Pour rapprocher l’économie circulaire et l’urbanisme il n’est pas rare de rencontrer la notion «d’urbanisme circulaire» définie comme suit par l’urbaniste Sylvain Grisot:
«Le principe de l’urbanisme circulaire est de transposer les principes de l’économie circulaire non plus à la seule gestion des services de la ville (eaux, déchets, énergies…) mais au cœur du moteur de la fabrique urbaine, en se focalisant sur le devenir des sols. En cherchant à développer des alternatives concrètes à l’étalement urbain, l’urbanisme circulaire propose de repenser les processus de fabrication de la ville pour bâtir une ville flexible capable de s’adapter en continu à l’évolution des usages…»
Si les objectifs de notre thématique se retrouvent bien dans l‘optique large de «repenser les processus de fabrication de la ville pour bâtir une ville flexible capable de s’adapter en continu», nous n’allons pas aborder ici l’ensemble des différents champs que pourraient englober l’économie circulaire appliquée à l’urbanisme, mais traiter spécifiquement de la démontabilité transposée à l’espace urbain afin d’évaluer l’adaptabilité qu’elle pourrait faciliter.
Pour aborder cette question, l’exemple dit du «Pavé magique» utilisé dans le cadre de l’aménagement des espaces publics du projet urbain de l’île de Nantes est intéressant. Il est évoqué par Sylvain Grisot dans son ouvrage «Manifeste pour un urbanisme circulaire». au cours d’un entretien avec le chef de projet à l’atelier Alexandre Chemetoff qui a conduit pendant 10 ans la 1ère partie de l’opération. Sont évoqués le contexte de l’opération et les facteurs qui ont finalement conduit à faire le choix de l’utilisation de ce qui est qualifié de «pavé magique».
La stratégie finalement choisie par l’architecte pour l’aménagement des espaces publics était, avant tout, dictée par la contrainte économique à l’échelle du projet. Il s’agissait d’abord d’aménager de façon économique 546 000 m² d’espace public dans le cadre des 330Ha de l’île. La deuxième contrainte, inhérente à toute opération d’aménagement d’envergure, a été le temps long. Ce type d’aménagements peuvent souvent se dérouler sur une décennie et à cette échelle de temps, il est préférable de réfléchir à une véritable souplesse et un caractère évolutif des aménagements.
Les livraisons de bâtiments, et donc leur occupation par les nouveaux habitants, se font progressivement tout au long de l’opération. Il en est de même des aménagements de l’espace public qui accompagnent progressivement les 1ère livraisons. En effet, sur le temps long, les trottoirs sont souvent amenés à être rouverts à plusieurs reprises pour faire passer les réseaux notamment.
De fait, un matériau coulé sur place et non modulaire allait rapidement et inévitablement produire des rustines et procurer un aspect non qualitatif pour un projet encore en cours de réalisation.
Cette évolutivité et cette souplesse des aménagements atteintes grâce au module du pavé 10cm x 10cm, choisi par l’architecte et utilisé en pose sur sable, ont permis de régler les contraintes financières de ces modifications répétées mais aussi implicitement la facilité et le confort du travail pour les ouvriers et le recours à des moyens techniques légers.
«…On peut donc faire, défaire et refaire, tout cela peut bouger dans le temps et n’importe qui peut le refaire. C’est un argument technique et économique assez évident …»
Les coûts de la conception et la quantité de travail d’études de l’architecte s’en trouvent de facto réduits car les dessins techniques sont réduits au strict minimum.
«… il n’y avait [pratiquement] pas de dessin, c’est la pose qui dessine le motif de sol. On met toujours le même pavé, on ne le coupe jamais, et finalement …un système hyper-rudimentaire rejoint quelque chose de beaucoup plus sophistiqué. On peut tout faire à partir de quelques règles, et aménager comme ça le sol de dizaines de mètres carrés ou de centaines d’hectares… contrairement à un sol coulé, on peut retirer des pavés, planter des arbres de façon plus simple. Et l’asphalte n’est d’ailleurs pas un matériau très écologique. Même si tout cela n’était pas clairement exprimé, cela a participé au choix du matériau…. le projet de l’île de Nantes se trouve à un tournant dans l’histoire de l’aménagement et sans doute de l’urbanisme : nous passons d’aménagements hyper dessinés, très maîtrisés un urbanisme transitoire et temporaire. Tout cela est contenu dans le projet.»
Ainsi donc, Cet exemple du «pavé magique de l’Île de Nantes» relatif à l’espace public répond quasi intégralement aux principes constitutifs du DfD des bâtiments tels qu’énoncés plus haut à savoir à savoir:
– Documenter les matériaux et les méthodes de déconstruction,
– sélectionner les matériaux selon le principe de précaution
– concevoir des assemblages accessibles,
– minimiser ou éliminer les assemblages chimiques,
– séparer les Systèmes et équipement,
– Prise en compte des travailleurs et du travail de séparation dans la conception,
– Simplicité de la structure et de la forme,
– Interchangeabilité,
– Déconstruction sûre,
Cet exemple, au-delà du strict sujet de la démontabilité, démontre d’autres aspects vertueux d’une approche écoresponsable qui peuvent se conjuguer, notamment ici, par une bonne analyse du site et avec une véritable réflexion pour faire mieux avec moins de moyens et conduire à bousculer les habitudes, surtout les mauvaises.
«… Les pavés ont été posés sur sable, parce que c’était une réalité géologique de l’île, parce que c’était aussi une source d’économie et que cela assurait une perméabilité que n’auraient pas permis d’ailleurs les revêtements coulés en place. Il y avait cette idée de perméabilité, de porosité, de permettre des plantations, de permettre que l’herbe pousse entre les pavés, de jouer avec leur écartement, etc… , tu peux déposer des pavés, retrouver le sous-sol, l’amender et planter des arbres.
Une forme de réversibilité en somme même si on n’employait pas ce terme à l’époque. On ne l’utilisait pas, parce que ce n’était pas du tout l’idée initiale. Mais de fait, c’était réversible. Et puis petit à petit c’est devenu une espèce de règle, que les services ont fini par accepter.
… Au début les sols en pavé béton posés sur sable étaient assez mal perçus par les services techniques, pour des questions d’entretien et de gestion. Finalement, ils ont été les premiers à apprécier la capacité de les démonter en pied de façade pour que les gens puissent faire pousser les hortensias, des roses trémières, etc. Je ne veux pas dire qu’on avait prévu tout ça,… mais il s’est trouvé que ça permettait aussi tous ces usages et que cela a sans doute contribué au succès du projet, du moins sa réception. Ou comment un projet pensé dans les années 1990 …, devenait compatible avec le 21e siècle d’une certaine façon..»
Dans l’aménagement urbain du 21ème siècle, l’urbanisme transitoire, qui s’est développé depuis quelques années comme manière d’investir physiquement et socialement de façon adaptative et temporaire des friches urbaines en attente de démarrage des travaux, sont toujours assez significatives d’une capacité de flexibilité d’aménagements urbains. Même si il sont généralement destinés à disparaître avec l’arrivée des pelleteuses et des premiers camions, ils sont toujours d’une extrême inventivité et permettent souvent d’enrichir le projet définitif d’idées nouvelles pour fabriquer la ville de manière plus inclusive, collective et participative.
En réalité cet exemple de l’Île de Nantes rappelle, et réhabilite en quelque sorte, une manière ancienne d’aménager les espaces extérieurs qu’ils soient privés ou publics par l’usage de pavés en pierre de petite dimension pour la réalisation des chaussées, technique déjà bien éprouvée dans la passé et notamment avant l’avènement des enrobés bitumineux coulés.
Ce sont finalement des considérations purement économiques et somme toute court-termistes à tout point de vue qui ont supplanté ces techniques. C’est le coulage de l’asphalte devenu plus rapide et plus économique au premier abord – car c’est sans compter tous les coûts induits y compris, énergétiques, environnementaux et sanitaires, accentués par les ouverture/fermeture à répétition pour les réseaux divers- qui a installé durablement un mode de faire devenu le standard en matière d’aménagement de l’espace public: trottoirs, chaussées, aires de stationnement et cours d’écoles.
Ceci a grandement contribué à réduire la résilience des villes par l’imperméabilisation à outrance des sols et la constitution de l’Îlot de Chaleur Urbain [ICU).
Les aménagements de l’espace public sont par nature soumis à rudes épreuves tout au long de l’année, par les fortes affluences et sollicitations, par leurs utilisations parfois déviantes, par la rudesse parfois des intempéries et du climat ainsi que par la pollution chimique et animale dans les métropoles. A ce titre, les aménagements se doivent d’être très résistants, lourds, solides, scellés sans quoi les services techniques rencontrent de grandes difficultés à les maintenir convenablement à des coûts raisonnables pour la collectivité publique.
Cependant, à l’instar de l’exemple du pavé magique de l’île de Nantes, et en s’inspirant de la créativité des aménagements urbains transitoires, l’aménagement urbain gagnerait à atteindre une plus grande démontabilité et réversibilité pour les aménagements publics tels que chaussées, pistes cyclables, trottoirs et places, cours d’écoles, parking et espaces de stationnement, qui pourraient à la fois combiner démontabilité et meilleure perméabilité à l’eau.
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