DfD appliquée au bâtiment : théorie et principes généraux

DfD appliquée au bâtiment : théorie et principes généraux

Les  » 6 S » de Stewart Brand

L’adoption d’une stratégie DfD implique, du point de vue de la conception proprement dite, de penser très en amont de la démarche (phase programmation) des fractionnements théoriques du bâtiment selon des sous-ensembles fonctionnels et des sous-ensembles spatiaux, physiques et techniques.
Pour mieux comprendre l’interaction des différents sous-ensembles entre eux en fonction de leur cycle de vie propre, les rédacteurs du guide DfD de Seattle théorisent sur un système de couches juxtaposées et leurs cisaillement aux limites.

Cette théorie des couches (théorie des 6 « S » ) reprise dans le guide est empruntée au travail de Stewart Brand qui la développe dans son ouvrage « How buildings learn ». Cette théorie se développe comme suit:

les Sterme anglais traductiondurée de vie
S1sitele site, la localisationIndéfinie (> bâtiment)
S2structurela structure60 à 200 ans
S3skinla peau, l’enveloppe30 à 60 ans
S4systemsles systèmes et équipements5 à 30 ans
S5space planla partition de l’espace, le cloisonnement5 à 20 ans
S6stufftout ce qui n’est pas du bâtiment, le mobilier5 à 15 ans

Cette théorie, avec les indications de durées de vie associées, traduit comment les différents sous-ensembles constitutifs d’un bâtiment, assimilés à des couches en contact les une avec autres et en friction plus ou moins fortes, peuvent éclairer la conception de bâtiments démontables.
Plus la friction en limite entre les sous-ensembles est élevée, plus elle peut conduire à l’obsolescence rapide d’une large partie du bâtiment voire du bâtiment tout entier.
Le degré de démontabilité d’un bâtiment est donc étroitement lié à l’indépendance des couches entre elles.

Cette indépendance, couplée avec le respect des deux règles , selon lesquels :

  • les éléments à cycle de vie long doivent être assemblés en premier et démontés en dernier,
  • les éléments à cycle de vie court doivent être assemblés en dernier et démontés en premier,

doit permettre d’assurer la plus grande démontabilité du bâtiment et donc son adaptabilité et réversibilité.

« …Les couches qui changent plus rapidement, comme le plan spatial, sont contrôlées par les couches qui changent plus lentement, telles que la structure, qui sont moins flexibles, créant ainsi une friction entre elles.

Par exemple, un élément structurel intérieur qui ne peut être déplacé que dans le cadre de la reconfiguration de l’ensemble du bâtiment dictera les limites des changements non structurels de cette organisation spatiale.

Si la configuration du plan nécessaire pour optimiser la fonction du bâtiment ne peut être réalisée parce que la structure ne le permet pas, ce degré élevé de friction pourra entraîner jusqu’à l’obsolescence prématurée de l’ensemble du bâtiment… »

Les dix principes techniques du DfD

Pour une meilleure prise en compte de cette contrainte de frictions aux limites d’une part, et afin de faciliter l’organisation et la mise en œuvre des opérations de montage/démontage d’autre part, le guide indique Les dix principes techniques fondamentaux qu’il conviendrait d’intégrer lors de la conception DfD:

Principes techniques visant à limiter les frictions, et augmenter la durée de vie fonctionnellePrincipes techniques visant à faciliter le montage/démontage, et augmenter le réemploi
Minimiser ou éliminer les assemblages chimiques /
Les liants, scellements et colles sur ou dans les matériaux les rendent difficiles à séparer les uns des autres et à recycler, et augmentent le potentiel d’effets négatifs de leur utilisation sur la santé humaine et l’environnement.
Utiliser des assemblages mécaniques boulonnés, vissés et cloués /
L’utilisation d’une palette standard et limitée de connecteurs et modes de fixations réduira les besoins en outillage, ainsi que le temps et les efforts nécessaires pour passer de l’un à l’autre.
Interchangeabilité /
L’utilisation de matériaux et de systèmes qui présentent des principes de modularité, d’indépendance et de normalisation facilitera la réutilisation.
Concevoir des assemblages accessibles /
Des assemblages visibles, accessibles et ergonomiques augmenteront l’efficacité et éviteront les exigences pour des équipements coûteux ou des protections supplémentaires et inhabituelles de santé et de sécurité pour les travailleurs.
Simplicité de la structure et de la forme /
Des systèmes structurels simples à plan libres, des formes simples et des trames dimensionnelles standard faciliteront la construction et la déconstruction systématique et méthodique.
Concevoir avec prise en compte des travailleurs et du travail de séparation /
L’utilisation de composants à échelle humaine ou la prise en compte de mode de dépose à l’aide d’équipements mécaniques standards réduiront l’intensité du travail et permettront d’incorporer une plus grande diversité de niveaux de compétence.
Séparer les Systèmes mécaniques, électriques , de plomberie et CVC /
La distinction des fixations des systèmes des ouvrages et assemblages qui les hébergent facilite la séparation des composants et des matériaux pour la réparation, le remplacement, la réutilisation et le recyclage.
Garantir une déconstruction sûre /
Penser la circulation et la sécurité du site pour faciliter les mouvements et déplacements des travailleurs ainsi que pour l’accès des équipements et la circulation des matériaux rendra la rénovation et le démontage plus économique et réduira les risques.
Sélectionner les matériaux selon le principe de précaution /
Les matériaux choisis en tenant compte des impacts futurs et de haute qualité conserveront leur valeur et / ou seront plus faciles à réutiliser et à recycler.
Documenter les matériaux et les méthodes de déconstruction /
Étiquetage et nomenclature des assemblages et des matériaux, fourniture de plans et détails d’exécution et de «plans de déconstruction» dans le DOE (Dossier des Ouvrages Exécutés) contribuent à un démontabilité et une déconstruction plus efficaces.

On observe que ces principes peuvent par ailleurs être regroupés en trois familles :

  1. celle des matériaux et des produits, par leur qualité, leur nature et leur classification,
  2. celle centrée sur l’humain et l’environnement concernant la facilité et la sécurité du travail, la santé des occupants et l’impact vertueux pour l’environnement,
  3. celle de la géométrie, des assemblages et de l’indépendance.

Parmi les dix principes, ceux qui indiquent en filigrane la réelle spécificité du concept DfD par rapport à une approche linéaire sont ceux inhérents à la famille de la géométrie, des assemblages, et de l’indépendance des systèmes.

Cette spécificité du point de vue technique réside dans le fait de proscrire, autant que possible, les assemblages irréversibles utilisant notamment des procédés chimiques (collages, scellement ainsi que soudures) et donc de n’avoir finalement recours qu’à des assemblages mécaniques.
Cela sous entend de supprimer ou de n’avoir que parcimonieusement recours à des techniques de construction de la filière humide utilisant mortiers, béton coulé sur place, enduits.

Afin d’aller plus loin dans l’étude du degré de démontabilité il convient à mon sens, d’affiner la « granulométrie » des sous-ensembles techniques identifiables dans le bâtiment au-delà des six couches de la théorie des « 6 S » préconisées par Stewart Brand et d’attribuer des niveaux de démontabilité a priori.

famille des 6 « S »Sous-ensemblesDurée de vieDémontabilité
structureSystème de fondationsTrès longueNon à très faible
structurePlancher BasTrès longueTrès faible à faible
structureSystème porteur verticalTrès longueFaible à modérée
structureCirculations verticalesLongueFaible à modérée
structurePlanchers intermédiairesLongueModérée a aisée
skin/structureToiture / couvertureLongueModérée a aisée
skinPeau-façadeMoyenne à longueModérée a aisée
skinBaies-vitréesMoyenneAisée
skinRevêtements intérieursTrès faibleTrès aisée
servicesGaines techniques / noyaux humidesFaible à moyenneTrès faible à faible
servicesÉquipementsMoyenneAisé à très aisée
Space planCloisons, aménagements et menuiserie intérieursMoyenne à faibleAisée

Hormis peut-être les systèmes de fondations, la globalité de ces sous-ensembles devrait pouvoir être rendue démontable plus ou moins facilement en travaillant au maximum sur les assemblages mécaniques réversibles.

S’agissant des fondations, de par l’image que l’on s’en fait, un système de fondation ne semble pas démontable en principe ou très difficilement. Cependant certains systèmes de fondations peuvent s’avérer l’être. C’est le cas des pieux métalliques vissés, des longrines béton ou plots béton préfabriqués. Un édifice sans sous-sol ou sur pilotis permettra davantage de développer des fondations démontables/réutilisables.
De même, dans la filière bois, des exemples de procédés de fondations ont été développés depuis longtemps au Canada et aux États-Unis en ossature bois comme celui du système « Wood Permanent Foundation », et également expérimentés de façon plus récente sous forme fondations par pieux en bois, notamment sur un projet en Suisse (voir la page [Projets démontables …] Projet Rigot – logements pour migrants – Genève).

Il est donc évident que le niveau de démontabilité dépendra aussi grandement des matériaux utilisés associés au système d’assemblage pour tous ces sous-ensembles techniques. C’est à partir de là que les questions de recherche et développement, associées aux matériaux, aux produits, aux technologies de production et à leur mise en œuvre devront être abordées, de même que les savoir-faire et la formation des professionnels car ces aspects seront les vecteurs fondamentaux d’un développement économique effectif d’une filière de la construction démontable .

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